A l’attention de Stéphanie, « ma » sage-femme.
Je suis devenue enceinte début janvier ; et tout de suite j’ai pris la décision que ce serait à toi que je demanderai d’assurer la surveillance médicale de cette nouvelle grossesse. Cela s’imposait : j’avais le souvenir de ta bonne humeur quand tu m’avais reçu pour un contrôle le jour du terme de ma précédente grossesse ; puis de la rééducation périnéale, que j’avais faite avec toi. Là, de par le décès de maman, j’avais vraiment besoin d’une personne de confiance, et respectueuse à mes côtés. Et je savais que je trouverais ces qualités en toi.
Début juillet, face à ma volonté farouche d’accoucher chez moi avec une sage-femme d’expérience spécialisée en aad (parce que j’avais mal vécu mes deux précédents accouchements en structure), tu m’as proposé une alternative : c’est toi qui m’assisterais, mais à la maternité de Rambouillet ; ça m’offrait la possibilité d’un compromis entre le respect de mes volontés pour ce qui concernait le déroulement de la naissance de mon bébé, et la sécurité du milieu hospitalier, que je finissais par vouloir fuir à tout prix, et auquel tenait finalement mon mari.
Cette idée m’a séduit tout de suite, a rassuré Marc-André et mon entourage.
Plusieurs fausses alertes ont ponctué le mois de septembre, qui annonçait le terme de ma grossesse. A chaque fois, tu t’es rendue disponible.
Puis le grand jour est arrivé. C’était un lundi matin…
Nous sommes le 24, à j-9. Comme d’habitude depuis plusieurs semaines, des contractions ont accompagné mon demi-sommeil une bonne partie de la nuit. Il est 7 heures moins dix, et Nathan vient de m’appeler ; en me levant pour aller le chercher, je sens que je perds du liquide. Je fais patienter mon petit garçon, file aux toilettes : c’est transparent, légèrement rosé. Là je me dis, ça y est c’est pour aujourd’hui ! Je sors Nathan et Valmont de leurs lits, réveille Marc-André: « je crois que la poche des eaux s’est fissurée… ». Il me répond par un sourire… Les contractions se précisent, pas fortes mais bien présentes, et leur régularité, 7mn, me renforce dans mon pressentiment. Je t’appelle vers sept heures, sept heures dix, en te disant que tu as le temps de déposer tes enfants à l’école avant d’arriver. Je prépare le petit déjeuner pour tout le monde, y compris pour moi (hors de question d’accoucher le ventre vide !).
Puis tout s’accélère très vite, je ne comprends pas bien ce qui se passe, les douleurs me prennent aux 3mn, puis 2. Je préviens Marc-André que ce n’est pas normal, et qu’on partira peut-être plus tôt que prévu à la maternité. J’entre dans la salle de bain (hors de question d’accoucher pas lavée !) avec le téléphone. Et là, je me cramponne au lavabo et tombe à genoux, tellement cette contraction-là me déchire. Je décide d’appeler papa pour qu’il prenne le relais auprès des garçons ; et je te rappelle : « finalement viens tout de suite, je ne comprends pas, ça s’accélère et j’ai super mal… » « ok, j’arrive ! ». Et tu arrives, vingt, vingt-cinq minutes après, presqu’en même temps que mon père. Seulement…
J’ai absolument tenu à prendre cette douche malgré les contractions rapprochées… ce qui a eu pour conséquence de les soulager au point de les stopper. Je suis confuse de t’avoir encore fait déplacer pour rien ainsi que papa. Et je me sens tellement déçue, j’avais tellement envie de le rencontrer enfin ce bout de chou. Tu me proposes un contrôle monitoring, qui confirme bien que bébé est en pleine forme et que les contractions sont bien parties. Le toucher vaginal n’annonce aucune évolution du col depuis notre entrevue de samedi, deux jours plus tôt ; en revanche, bonne nouvelle, je n’ai pas perdu les eaux : ce sont justes des hydrorhées, du liquide stagnant dans le vagin.
J’enrage secrètement…
Entre temps, papa a pris Nathan avec lui en me disant « mais si, c’est pour aujourd’hui ». Et Marc-André a conduit Valmont à l’école. Il croise Céline, notre grande copine, sur le parking, et lui fait part de la nouvelle. Aussitôt elle m’appelle; je lui dis que c’est encore une fausse alerte, mais qu’elle n’a qu’à passer prendre le thé à la maison. Marc-André revient : « bon, je vais bosser ou je reste ? » Et moi je lui dis : « tu peux bien y aller, tu n’es qu’à 40mn. Si la situation évolue je te tiens au courant ». Et tu rajoutes « de toute façon c’est pour aujourd’hui, mais peut-être plus pour la fin de journée ; on a le temps ». Moi je n’y croyais plus ; à ce moment-là il n’y avait plus l’ombre d’une contraction… et je me sentais désorientée, comme déconnectée de mon instinct. Je n’arrivais plus à comprendre les signaux de mon corps et je me sentais ridicule.
Céline arrive. Je prépare le thé, Marc-André repasse sa chemise. Et on papotte autour de la table toutes les 3.
Marc-André s’en va, tu restes. Céline aussi…
Neuf heures quinze. Quand la contraction qui signe la reprise du travail se fait sentir, tu la lis tout de suite sur mon visage, et aussitôt tu proposes de sortir se promener, une balade dans le parc! Je t’avouerai maintenant que cette idée ne m’enchantait guère au départ, je n’avais pas envie d’avoir froid, et de me retrouver sous la pluie. J’ai eu froid, nous avons fini notre promenade sous une fine pluie, mais je ne le regretterai jamais : on a marché, on a ri, on s’est confié, toutes les trois !
Puis j’ai commencé à moins vous écouter ; à être de plus en plus attentive au rythme qui s’installait en moi ; je soufflais régulièrement, je prenais appui sur les arbres, en suivant les mouvements que tu m’indiquais ; c’était bon de sentir cette progression, les jardiniers qui passaient près de nous voulaient appeler les pompiers : « merci, ce ne sera pas nécessaire, cette femme est juste en train d’accoucher ; rassurez-vous je suis sage-femme, et je m’occupe de ma patiente : tout va bien ». et c’était vrai, tout allait bien ! Je me sentais bien. Il ne manquait que Marc-André à mes côtés, et là ça aurait été le bonheur total…
Justement, Marc-André… les contractions se rapprochaient vite, d’un coup, et j’ai alors voulu rentrer à la maison, histoire de contrôler la progression du travail, prévenir Marc-André de revenir aussi.
A ma demande, tu effectues un second TV : dilatée à 4 ou 5 je ne sais plus. La grosse heure de promenade aura été sacrément efficace. A ta demande on refait un contrôle monitoring pendant que je me balance sur mon gros ballon bleu : bébé va très bien ! Il est environ onze heures moins le quart. On appelle M-A pour qu’il nous rejoigne à la maison. Le temps de terminer son entretien et il arrive. A peine 5 minutes plus tard, la douleur me foudroie ; finalement on rappelle M-A pour qu’il nous rejoigne à la maternité. Tu plies tes bagages ; Céline s’occupe des miens. Il n’y a qu’à 4 pattes que je me sente bien, et chaque contraction me scie les jambes ; je passe la petite centaine de mètres qui sépare mon appart de ta voiture à m’écrouler sur mes genoux, me relever, m’écrouler de nouveau, pour me relever encore. Ca me prend une éternité pour monter dans ta voiture. Enfin on démarre ; je n’arrive pas à trouver une position confortable. Là ce n’est plus drôle, je commence à avoir vraiment mal et je perds les eaux sur ton siège avant. Le gros grain qui s’est déclenché en moi il y a un quart d’heure se transforme en tempête, et je crois que je me noie.
Il nous faut à peu près 5 mn pour arriver sur le parking de l’hôpital, bondé. Tu te gares tant bien que mal juste devant les grandes portes principales. « Je vais te chercher un fauteuil roulant, et j’irai garer ma voiture ensuite » « non, tu ne vas pas garer ta voiture on n’a pas le temps il arrive… » !!! Céline discrète nous suit.
Tu me pousses vers l’intérieur. Un couloir interminable. Un ascenceur qui tarde à s’ouvrir. Pendant la montée j’ai tellement mal que j’ai peur de tomber dans les pommes. On traverse tout le service maternité et là au bout du bout, les salles d’accouchement, enfin.
Puis, je ne sais plus trop ; je sens un vent de panique autour de moi, on se dépêche ; moi je suis dans ma bulle, les yeux fermés, je tente de reprendre le dessus ; mais la douleur est de plus en plus forte et je ne connais plus de répis ; je lutte contre ces contractions qui m’écartèlent : je lutte car je crois (pour de vrai) que je vais mourir, que cette fois-ci je ne vais pas y arriver, que ce bébé ne sortira jamais.
Et puis quelqu’un me demande de monter sur la table de travail (toi ?), et là aussi ça me prend une éternité ! je ne sais pas comment je me débrouille, mais je me retrouve encore une fois à 4 pattes, il n’y a que comme ça que je suis bien. Tu me demandes de me tourner. Je ne veux pas ; je ne PEUX pas. Je ne sais pas comment, mais j’y arrive. Céline est toute proche, à côté de moi. Je crois me souvenir de m’être allongée sur le côté, face à elle. J’entends sa voix (mais je ne sais plus ce qu’elle m’a dit). Je pense à Marc-André, lors de la naissance de Nathan, c’était lui qui était en face de moi, autour de lui que je m’étais enroulée ; Où est-il ? Il en met du temps… Ou est-ce bébé qui arrive très vite…
Je garde les yeux fermés, j’ai tellement mal…
Je crois que je suis assise. Je me souviens avoir dit : « il arrive ! » en parlant du bébé. Et toi : « non, pas tout-à-fait tu es à 9, laisse-le faire ». Je me souviens d’une main sur mon front : Marc-André, enfin tu es là ; je me « repais » de cette caresse : j’y puise mes dernières forces. Je m’accroche à l’arceau au-dessus de moi, je m’y cramponne de toutes mes forces. Je sens bien bébé descendre. Surtout ne pas pousser, mais souffler, résister à cette envie, ce besoin qui me commandent de pousser. Je gémis : « je vais mourir » Tes encouragements : « oui, c’est bien, c’est parfait ce que tu fais » et puis, l’épaule, qu’il faut dégager : « allez, pousse un petit coup, il a besoin de toi là ton bébé ». Je pousse. « allez encore une fois », je pousse encore dans un hurlement « j’ai maaaaaaaaaaaal ! ». Puis il sort, ou tu le sors… avec pas moins de 5 tours de cordon autour de lui : le cou, un bras, l’abdomen, un pied !
Je pose (enfin, depuis le temps que tu me le demandes !) mes fesses sur le rebord de la table pour attraper mon tout petit garçon par son corps glissant et l’enserre de mes bras : il est midi pile, Marc-Aurèle, 3kg720 et 50cm, vient de naître à la vie… et moi je ne me suis jamais sentie aussi « maman » : je plonge mes yeux dans les siens, et enfin, pour la 1re fois sur mes 3 accouchements, la magie opère instantanément.
Il ne pleure pas. Il prend doucement son souffle ; Marc-André et moi lui soufflons très doucement sur le visage pour l’aider. Il est magnifique. Mais je trouve qu’il a du mal à respirer correctement, et quand tu me dis que le cordon ne bat plus, c’est moi qui te demande de le prendre pour le désencombrer. Tu pars avec lui, et là je me dis : « heureusement que c’est toi, je n’aurais confiance en personne d’autre ». Marc-Aurèle revient, aussi nu qu’il est parti, et on s’embarque pour 1h de peau à peau et de tétée.
Depuis, la vie nous entraîne. Les premiers jours, premiers mois d’un bébé, sont rarement de tout repos. Ce n’est pas toujours facile, mais il me suffit de repenser à sa naissance pour relativiser. Jamais je n’oublierai l’intensité de cette journée. Voilà tout ce que tu m’as offert Stéphanie, la possibilité de me sentir la mère de Marc-Aurèle à l’instant où il est né : et ça n’a pas de prix. Merci…
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